Contexte historique
Les écrits relatifs aux diverses manifestations de maltraitance constatées au sein des institutions ont pris leur essor dès les années 1980 [1]. Ces critiques ont déclenché au sens de Hadini et al un « changement par rupture » dans la manière dont les personnes âgées sont prises en charge [2]. Cette évolution peut être attribuée à une prise de conscience des pouvoirs publics, lesquels ont réagi en promulguant des lois visant à encadrer les acteurs impliqués, dans le but d’assurer un accompagnement de meilleure qualité.
C’est dans ce contexte que les EHPAD ont été créés, d’abord par la loi de 1975 et le décret d'application du 24 janvier 1997 [3] puis renforcer par la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 (loi rénovant l’action sociale et médico- sociale). Cette dernière a introduit de nouvelles normes et standards pour les établissements accueillant les personnes âgées dépendantes visant à améliorer leurs qualités de vie et leurs conditions d’accompagnement [4]. Par ailleurs, on ne retrouve aucune définition de la maltraitance dans cette loi.
Cette absence de définition ou de cadrage clair de ce qui n’était pas bienveillant au départ constituait donc une zone d’incertitude [5] ou un degré de liberté au profit des acteurs économiques intéressés avec tous les dysfonctionnements rapportés (affaire ORPEA et plus récemment « hold up sur les vieux » ) desquels découlent de nombreux actes de maltraitances [6].
Il a fallu attendre vingt ans (après la loi du 2 janvier 2002) pour voir introduire dans la
législation une définition de la maltraitance(https://bientraitanceref.fr/article/definition-de-la-maltraitance-et-typologie
) . Cette dernière répond à des attentes de clarification, de responsabilités et de sensibilisation contre les violences et les négligences. Par ailleurs, l’organisation mondiale de la santé indique qu’il y a très peu d’études rigoureuses qui présentent des données sur le sujet [7].
Épidémiologie
Cependant, Yongjie et al. rapportent, dans une étude réalisée aux États-Unis, que 15,7 % (soit 1 personne âgée de 60 ans ou plus sur 6) avaient été victimes de maltraitance dans la population générale [8]. Une autre étude dirigée par Yongjie rapporte que 64,2 % du personnel des institutions ont déclaré avoir commis un acte de maltraitance au cours de l’année écoulée et cette prévalence a été segmentée selon les formes de maltraitance les plus souvent rencontrées : maltraitance psychologique 33,4 %, physique 14,1 %, financière 13,8 %, négligence 11,6 % et abus sexuels 1,9 % [9]. La tendance dépend de l’évolution démographique et des situations de crise.
Graphique 1 : Répartition de la maltraitance des personnes âgées dans la population générale et par typologie.
Chang et Levy ont montré que la prévalence de la maltraitance a augmenté dans le milieu familial mais aussi dans les institutions pendant la pandémie de COVID-19 [10]. Les études n’arrivent pas à montrer une évolution du taux de maltraitance avec le temps, en revanche l’OMS prévoit une augmentation du nombre de maltraitance compte-tenu du vieillissement rapide de la population. On s’aperçoit aussi que quelle que soit la forme de la maltraitance, elle peut s’accompagner de graves conséquences à la fois pour l’usager et pour l’institution.
Conséquences
Dell Accio et al. ont réalisé des études qui nous éclairent sur les conséquences pour l’usager. Ils nous indiquent que les conséquences des violences physiques peuvent varier de blessure, fracture du col du fémur à des traumatismes pouvant aboutir à la grabatisation. Alors que, les répercussions psychiques sont disproportionnées par rapport à la bénignité de l’agression pouvant s’évoluer vers un état dépressif grave voire un état démentiel [10]. Par ailleurs, Lash et al, ont montré que le risque de mortalité prématuré était plus élevé dans le groupe de personnes âgées qui subissait soit de la violence ou de la négligence [11]. Qu’en est-il des conséquences pour l’établissement ?
Elles peuvent aller des contrôles réguliers de l’ARS avec des injonctions, des objectifs à atteindre dans les délais jusqu’à la fermeture administrative quand les recommandations de bonnes pratiques ne sont pas suivies, notamment quand des indicateurs de pilotage de l’activité confirment que la qualité et la sécurité des soins ne sont pas garanties.
Un projet de contrôle systématique de tous les EHPAD est en cours actuellement et fait partie des objectifs de la stratégie nationale de lutte contre la maltraitance cependant la mise en place de ces contrôles survient généralement à la suite de nombreux signalements pour des faits de maltraitance auprès des ARS et/ou des conseils départementaux.
Comprendre les causes et les facteurs de risque devrait permettre à l’équipe d’encadrement d’instaurer des mesures préventives efficaces. Veiller à ce que les soignants soient informés de ces éléments constituerait un indicateur pertinent du respect des recommandations de bonnes pratiques. En plus, cela apporterait davantage de sens à leur travail et renforcerait simultanément leur engagement.
Causes
Les causes de la survenue de la maltraitance en institution sont multifactorielles. Parmi celles rapportées, on trouve d’abord l’organisation des établissements, notamment, l’aménagement de l’espace, de la temporalité, l’organisation des soins et la vie en communauté. Suivi d’un manque de personnel soignant, de l’épuisement, des troubles de la personnalité des soignants résultat des mauvaises conditions de travail et le recrutement de soignants peu qualifiés [12] mais aussi et surtout absence ou manque d’adhésion au projet de l’établissement en matière de lutte contre les maltraitances quand celui-ci existe.
Des facteurs de risques vont concerner les victimes, l’environnement, les manques et les personnes considérées comme étant maltraitant. Qu’en est-il du taux d’encadrement en personnel soignant ?
Le taux moyen d’encadrement en personnel soignant, variait entre 51,6 % à 63% en 2015 selon le statut juridique de l’établissement et tenant compte d’autres facteurs en particulier le GMP et le PMP [13]. Si l’organisation des établissements conditionne la survenue de certains actes de maltraitance, le personnel soignant est impliqué dans plus de la moitié des cas. Du fait de sa proximité avec les résidents, il pourrait également jouer un rôle déterminant dans le repérage et la prévention de la maltraitance s’il était sensibilisé à cette problématique. Voire s’il y avait une mobilisation conjointe entre les différents acteurs (encadrement, soin, hôtellerie, restauration).
Ces enjeux nous ont incité à mener une étude auprès de plusieurs professionnels afin d'examiner comment les pratiques quotidiennes du personnel s'adaptent aux objectifs et directifs institutionnels de promotion de la bientraitance et de lutte contre le maltraitance .
Bibliographie
[1] Hugonot R. la vieillesse maltraité.Dunod, 1998 : 59
[2] Hadini M, Ben Ali M, Rifai S, Bouksour O, Adri A. Le changement organisationnel. Etat de l’art. ISSRJ Vol. 28, 2020: 697-710
[3] Delouette, Ilona, Laura N. « La régulation publique dans le secteur des Ehpad. Quelles conséquences pour l’avenir des établissements de l’ESS ? », RECMA, vol. 344, no. 2, 2017 :58-72.
[4] LOI n° 2002-2 du 2 janvier 2002, rénovant de l'action sociale et médico-sociale [internet] [consulté le 23/02/2024].
Disponible sur : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000215460/,
[5] Crozier M, Friedberg E. l’acteur et le système. Paris : éditions du Seuil,1977 :24.
[6] Castanet V. les fossoyeurs : révélations sur le système qui maltraite nos ainés. Paris : éditions Fayard, 2022 :13-29
[7] Organisation mondiale de la Santé. Maltraitance des personnes âgées [internet]. Genève, OMS ; 2022. [Consulté le 23/02/2024]. Disponible sur https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/abuse-of-older-people,
[8] Yon Y, Mikton CR, Gassoumis ZD, Wilber KH. Elder abuse prevalence in community settings: A systematic review and meta-analysis. Lancet Glob Health;2017
[9] Yon Y, Mikton CR, Gassoumis ZD, Wilber KH . The prevalence of elder abuse in institutional settings: A systematic review and meta-analysis. Eur J Public Health; 2019
[10] Chang ES, Becca R L . High prevalence of elder abuse during the covid-19 pandemic: risk and resilience factors. Am J Geriatr Psychiatry 2021;29(11):1152-9.
[11] Dell'Accio ME, Myslinski M, Hugonot R. Agression : évènement révélateur des modes d’adaptation du vieillard placé en situation de crise. Psychologie médicale, vol 17, n°8, 1985 :159-161.
[12] Lachs MS, Williams CS, O'Brien S, Pillemer KA, Charlson ME. The mortality of elder mistreatment. JAMA, 1998
[13] CIPA, service ALMA 87, de la maltraitance dans les institutions pour les personnes âgées. Gérontologie et société-n°92,2020 :45-47.
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